Une organisation concrète :

Sur une première table tout le matériel rangé par catégorie, aligné pour fabriquer des bestioles en fourrures. J'ai prévu cette fois pour 24... Il y a le matériel que j'ai utilisé, répertorié. Et il y a plus : ça, c'est la part offerte à la créativité des enfants : je ne sais pas ce que l'on pourrait faire de tel matériau ici : je le mets juste à disposition : ce que je n'ai pas su découvrir, inventer, 20 cerveaux (20 sensibilités) en pleine ébullition eux seront peut être quoi en faire.




Sur les tables de travail, il y a juste les ciseaux (un par enfant voir plus parce que certains enfants sont plus à l'aise avec certains ciseaux que d'autres, gauchers ou pas gauchers) et les tubes de colle :


On peut y être assis ou debout.


Rien ne doit empêcher les déplacements des enfants à tout moment : ce sont eux qui vont chercher le matériel dont ils ont besoin, à chaque étape.(on élimine au passage le temps de distribution de l'animateur : ça aussi c'est quelque chose que j'ai observé sur mes ateliers notamment l'été : le manque d'autonomie des enfants qui, perdus dans la multitude, vont attendre sur leur chaise les ciseaux, la colle, alors que tous s'agitent autour d'eux, autonomes... qui vont finir par réclamer à l'adulte... Tu veux des ciseaux ? Bin, y' en a partout sur les tables... Et la colle ? Idem : personne ne va te la mettre entre les mains : cette façon de faire n'est pas seulement une question d'organisation : c'est primordial : ça dit déjà tout de l'atelier à l'enfant)


Le premier atelier est parfois difficile (désarçonnant) pour certains : les enfants ne savent pas encore qu'un atelier manuel ça veut dire construire, se déplacer, prendre, décider... (rapport à leur expérience de ce qu'est habituellement un atelier manuel avec des animateurs qui font à la place, ou à « l'état de classe » qui ne permet pas cette autonomie, de déplacement par exemple) Où tout arrive, comme par magie. Où l'on est assis, à juste subir.


Dés le deuxième atelier, c'est plus facile : l'enfant a éliminé cette possibilité « c'est l'animateur qui va me le faire ». Et il a aussi acquis de la confiance, alors que paradoxalement il sait aussi (par expérience) que si il ne fait pas, il n'aura pas le jouet. J'envisage qu'un enfant puisse repartir sans rien de l'atelier : rien n'est acquis. Même si je fais tout pour que cela n'arrive pas. En rassurant et non en faisant à la place : l'enfant doit avoir la certitude que je prendrais le temps d'expliquer, de ré expliquer, cette certitude surtout que je prendrais le temps pour lui.

« L'enfant bloqué » peut se tourner vers le copain d'à côté qui vient visiblement de passer l'étape en question: "Enfant aidant" que je ne mets pas en avant, ça doit être chose normale... pourtant, ces enfants qui se tournent vers leurs pairs plutôt que vers moi, ça, c'est une des réussites visibles d'un atelier, et de ce que j'aspire à mettre en place dans ces temps de rencontres, quand parfois on ne sait trop comment et sur quelle mesure baser un bilan, autre que sur un « auto-satisfécit »



Dans ce parcours initiatique qu'est (que devrait être) un atelier manuel, l'enfant ne demande qu'à être rassuré sur ses propres compétences : il ne demande pas que l'on fasse à sa place (ou si c'est le cas, c'est le résultat d'un formatage, notamment scolaire) : il n'a parfois juste besoin que d'entendre l'adulte dire que ce qu'il a fait est très bien, dans la bonne direction.... Le simple fait que moi, l'expert en « zhu-zhu pet », je dis que c'est très bien, suffit. Il est prêt pour l'étape suivante (ce fonctionnement par étape est très important pour certains enfants : je montre le geste, ensuite on fait, et je ne montre le geste suivant que quand on a franchi cette étape)

Par contre, je ne « triche » pas : si un enfant me montre son jouet dépité : « il est pas beau », je ne vais pas dire « Mais si il est beau » si je ne le pense pas : je décrypte ce que dit l'enfant et ce qu'il va falloir modifier pour que le jouet redevienne plus proche (animateur technicien) de ce que l'enfant peut en attendre (animateur du relationnel) Très très souvent la réponse est graphique : proportion tête-corps, positionnement plus bas des yeux dans le visage, dans le cas de peluches par exemples, consignes qui dans notre cerveau vont tout de suite nous rappeler les proportions des bébés humains, etc...


D'autres enfants ont la certitude de ce qu'ils font : ils n'ont pas besoin de l'adulte pour savoir si ce qu'ils font correspond à ce qu'ils attendent (ils ont la certitude d'être les seuls pour ça). Cet enfant qui n'a pas besoin ici des certitudes de l'adulte, c'est mon but d'animateur qui « travaille à sa disparition ». Je ne dois pas intervenir si l'enfant ne me le demande pas, est satisfait de ce qu'il a fait. Le vécu de chaque enfant (Est-il chez lui encouragé, en classe est-il montré en exemple ? Son pépé bricoleur invente t-il avec lui chaque mercredi ?) sa personnalité (Est-il timide, ou sûr de lui, de ses capacités ?) nécessite une approche différente pour chaque personnalité autour de la table.




En fait, c'est le temps d'une seule peluche qui se fait en parallèle puisque chacun fait la sienne. Voilà pourquoi 10 ou 30 enfants, ça ne change pas grand chose : il faut juste plus de place, de matériel. Ce n'est que parce qu'il refuse de mettre en les mains des enfants les clefs de l'atelier que l'animateur peut être effrayé par dix enfants de plus sur son atelier.



Malgré cela, on est juste souvent au niveau du temps (je parle ici d'un atelier dans le cas d'un claé). On est donc calés sur celui qui va le moins vite : cette attente pour les premiers qui ont fini telle étape, amène souvent les enfants à continuer seuls : ils observent les modèles et extrapolent la suite : souvent en inventant d'autres "parcours" que le mien. D'autres façons de faire, d'utiliser les matériaux... Pour cette liberté, ils ont comme base la première étape autour de laquelle le reste n'est que possibilités.

Mais ça reste quand même la construction d'un seul modèle au niveau du temps. Ca m'oblige à ré expliquer plusieurs fois, au fur et à mesure que chacun arrive à telle étape. Ca finit par devenir une gymnastique. Quand les derniers arrivent à cette étape, ils ont entendu les consignes une dizaine de fois au moins, ils ont vu le geste autant de fois...

Ca a aussi un autre avantage : certains enfants impatients ou aventureux, font jusqu'au bout.

Et à un moment on entend un : J'ai fini !!!!

Et tout le monde s'émerveille !

(Ce n'est pas chercher à aller le plus loin possible dans ce que je peux faire faire à l'enfant, mais l'accompagner là où il imaginait aller (ce qui est différent avec un adulte : la nécessité de rassurer est plus grande sur les formations animateurs), que cela soit un cheminement ambitieux techniquement ou pas : en décortiquant l'atelier en étapes : en faisant que chaque étape soit à leur portée. Et en gardant en tête l'idée de plaisir à faire. Parce que je sais la fierté de ces enfants quand ils vont se retrouver dans la cour avec Leur jouet (Maîtresse ! Regarde !) face à des parents qui se rendent compte qu'ils seraient incapables de faire ce que leur enfant de six ans a fait. Ne seraient même pas dire comment il s'y est pris. Et que l'enfant perçoit cette expression. Parce que je sais le plaisir pour ces enfants à jouer avec un jouet qu'ils ont fait eux, aussi beau qu'un jouet qui viendrait du commerce, mais avec cette magie en plus, cette part d'eux-même dans le jouet. Regarder ce jouet « très fini », le tenir dans ses mains et se dire : C'est moi qui l'ai fait ! Exactement la même expression que des animateurs lors d'une formation, devant leur petite création. Avec en plus, dans ce cas là, l'idée que le plaisir pris à faire, donne envie de retranscrire ce qui a pu se passer, ce qui a pu être ressenti. Où la fierté ici d'avoir fait, peut répondre à une réalité du métier, d'une situation où le salarié n'est pas toujours reconnu, mis en valeur, porté à créer, à inventer, ou à juste prendre des initiatives.


Le fait qu'il n'y ait rien dans la salle permet alors tout de suite à cet enfant (le premier qui a fini) de jouer avec son jouet (et d'ensuite se tourner tout naturellement vers ceux qui vont le suivre, à travers l'échange entre leurs hamsters respectifs... (toujours ce choix pas anodin du jouet))

Je rassure juste les autres : vous avez tout le temps, les enfants ! Faîtes tranquillement à votre rythme ; ils restent plein de temps (c'est pas toujours vrai, mais peu importe ; il m'arrive de déborder sur le temps de récrée géré par les profs qui prennent le relais. De toute façon, si certains n'ont pas fini, sur le claé du soir je n'ai rien d'immuable : ils finiront le soir, au milieu de la cour, avec ou sans moi : je peux être à deux mètres à jouer, alors qu'ils peaufinent les détails de leur animal : oreilles, pattes... ce n'est plus une étape où l'on acquiert des techniques : elles sont acquises : on est là dans le « pure créatif », « la part de soi » : les enfants n'ont pas besoin de moi dans cette partie du travail la plus rigolote : ils ont une base à partir de laquelle ils vont coller, ajouter...)





Donc certains enfants font seuls, sans mes explications (après les deux premières étapes dans cet atelier là : après que l'on a fait sa boule de fourrure, tout le reste n'est que créatif, imagination, "chacun comme il veut" Au moment de reprendre sa bestiole parmi les autres, réunis pour la photo, chacun sera reconnaître Sa bestiole, même si pourtant cette atelier n'offre que peu de "différenciation" : on fait tous un hamster (et non chacun un animal différent comme sur l'atelier précédent avec des chaussettes ou celui avec de la mousse de matelas encore plus créatif)


Sur la photo ci dessus, un exemple de matériau mis à disposition, dont je ne voyais pas forcément la finalité : ces petites fleurs en créamousse : j'imaginais que les enfants s'en serviraient pour coller sur le dos ou la tête de leur bestiole, comme décoration.... Ils s'en sont servi notamment pour les pattes, les oreilles, gagnant ainsi pas mal de temps, et passant outre quelques étapes peut-être «délicates».


Certains ont fait les yeux avec des perles, d'autres avec des ronds de créamousse, d'autres avec des mini-pompons qui auraient dû servir aux queues... Certains ont fait les museaux en créamousse, d'autres en feutrine... ce qui a fait ces choix différents, c'est le matériel à disposition sur la table : il est important que sur ces ateliers il y ait plusieurs matériaux à disposition, plusieurs directions possibles pour arriver au bout.

Ca renvoie encore une fois aux capacités de l'animateur : sa connaissance des matériaux, de leurs utilisations, leurs propriétés à chacun, la possibilité d' utiliser l'un ou l'autre, de savoir quels matériaux peuvent s'alier, avec quelles colles... Et à la part d'imagination des enfants.



Les enfants se retrouvent donc dans la cour avec leurs jouets... ce qui aurait pu poser un problème dans ces cours d'école où les jouets sont interdits (essentiellement par fainéantise des adultes : interdire les jouets, c'est éliminer artificiellement la difficulté : ici celle du vivre ensemble. Là où tant que pédagogue on devrait justement utiliser cette difficulté pour avancer avec les enfants, les équipes pédagogiques ici et là (aussi bien du côté de l'équipe instit' qu'anim') se facilitent le travail. Là où l'on devrait en tirer du vivre ensemble... )

Lorsque je suis remonté du premier atelier avec les enfants, je suis allé voir l'équipe enseignante pour leur dire que ces petites bestioles qui pullulaient dans la cour étaient le résultat des ateliers du claé : on ne contrevient pas ainsi à priori à cette règle qui interdit d'importer des jouets de la maison : ce ne sont pas des jouets (en tout cas dans mon discours ici) mais avant tout le résultat des ateliers du claé. Ce qui n'a finalement pas posé problème.

Et m'a valu plusieurs ateliers « constructions de jouets » plus tard, une facétie de l'un des maîtres : Salut ! C'est quoi aujourd'hui le jouet que je vais confisquer tout l'après-midi en classe ?


Ce qui se passe après l'atelier, entre l'enfant et son jouet, ne m'appartient plus.